Maillé, mémoire vivante d'un massacre oublié

Des moments comme celui vécu par les troisièmes du Colombier, il en existe peu au cours d’une scolarité. Le 24 mai dernier, ils ont eu l’honneur de recevoir Annette Châtenet, rescapée d’un massacre survenu dans le village de Maillé (Touraine) le 25 août 1944.

Ce jour-là, les habitants de cette commune d’Indre-et-Loire vont subir les représailles de l’armée allemande. Constituée à la fois de troupes régulières et d’un bataillon de S.S, cette armée se replie vers l’Allemagne après une série de défaites consécutives au débarquement des troupes alliées, semant la mort sur son passage. Après avoir bloqué tous les accès au village, l’occupant va tuer méthodiquement tous les hommes, femmes, enfants et animaux qu’il croise. Cela commence par les fermes avant de se poursuivre dans le bourg. Les habitants croisés sont systématiquement abattus et les bâtiments incendiés. Alors que l’on croit le carnage passé, des sentinelles empêchent les survivants de sortir de leurs abris pour porter secours aux blessés. L’horreur se poursuit par le pilonnage du village deux heures durant par un canon de 88 mm. 52 des 60 habitations du village seront détruites.

Annette Châtenet (née Gandar) habitait Maillé le jour du drame. Ses parents étaient les instituteurs du village (photo ci-dessous : les Gandar posant devant les dons de la famille Hale après la Guerre). Lorsque le massacre débute, ses parents, son frère aîné Michel (alors âgé de 10 ans) et une autre famille (le facteur, son épouse postière et leur bébé d’un an) se réfugient dans la cave du préau de l’école. Annette a alors un peu plus de deux ans.



Un premier soldat allemand lance une plaque incendiaire contre l’Ecole et un second jette un œil dans une ouverture de la porte de la cave du préau avant de tirer à travers sans faire de blessés. Personne, parmi les réfugiés, ne fait de bruit, pas même les deux enfants qui auraient pu pleurer. Pour Annette Maillé, c’est sans doute cela mais aussi un manque de courage du soldat qui les sauve.

Cet instant de captivité va durer jusqu’au soir. Les pères des deux familles coincées tenteront bien de sortir. Ils ne voient alors que des cadavres autour d’eux et retournent dans leur cachette en raison du déluge d’obus qui survient. En face de l’école se trouve le café Métais. Il vient d’être le théâtre d’un terrible bain de sang. Ses occupants, rompus aux bruits de la guerre, ne se sont pas inquiétés lorsque les coups de feu se sont rapprochés. Tous ceux à l’intérieur sont morts sous les balles. Sans que l’on en sache la raison, les nazis ne mettent pas le feu au bâtiment qui reste intact.
Alors que le jour tombe, les deux familles sortent et sont mises en joue le long d’un mur de l’école par des sentinelles allemandes. Ces dernières n’ayant pas pour consigne de tuer vont leur laisser la vie sauve. Les survivants vont ainsi pouvoir rejoindre des amis dans la ferme d’un village voisin. Ces derniers croient voir des revenants : 124 personnes ont perdu la vie sur les cinq cents que compte le village : 35 hommes, 41 femmes et 48 enfants. La plus jeune victime n’a que 3 mois.

Après un récit d’une telle violence, toute l’assemblée s’interroge. Comment la population peut-elle se remettre d’un tel drame ? Comment vivre sa vie d’enfant dans un village martyr ? C’est ce qu’Annette Châtenet a tenté d’expliquer aux adolescents.

CetteLa famille Confolent dernière était trop jeune pour avoir des souvenirs directs de cet événement. Pourtant, elle en a gardé une difficulté à rester enfermée dans un lieu clos. L’essentiel des habitants a tenté de vivre au jour le jour, de poursuivre sa vie « parce qu’il le fallait ». Contrairement à Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne), village tristement célèbre pour avoir connu le même sort que Maillé quelques mois plus tôt, il a été décidé de reconstruire le village sur ses propres ruines, participant de fait à l’effacement de la mémoire et générant des jalousies entre les habitants.

Les Hale, une famille de riches américains ont aidé, non pas à la reconstruction, mais à rééquiper les habitants du village. Jusqu’à leur décès en 1958, ils ont expédié denrées alimentaires, vêtements, jouets et mobilier aux habitants. En 1949, ils organiseront, en affrétant spécialement un train, un voyage jusqu’à Paris pour les enfants de Maillé. Un événement heureux cette fois, qui restera gravé dans les mémoires. Monsieur Gandar, père d’Annette était également secrétaire de mairie et a ainsi pu gérer les affaires de la commune sur une machine à écrire américaine.

Temps fort de la vie d’un village, la rentrée des classes a été décalée d’un mois. Le 6 novembre, l’appel a été particulièrement douloureux dans le café Métais, qui, préservé des flammes, a accueilli l’école durant plusieurs années.

Parmi les destins brisés, citons Roger Confolent qui a perdu toute sa famille (photo ci-contre) mais continuait d'en parler au présent. Pour Annette, c’est sa foi qui l’a sauvé. C’est sur le piano de sa fille Hélène qu'elle a appris à jouer.

Le délicat travail de transmission de la Mémoire :

Les années vont passer et du drame on va moins parler. La douleur des victimes est probablement trop forte et la libération de la parole peu dans les mœurs de l’époque. Nul doute que la lenteur et la discrétion de la justice n’y contribuent pas. Un procès militaire a lieu à Bordeaux en 1952, condamnant à mort un sous-lieutenant allemand (Gustav Schlüter) par contumace (en son absence) sans que les victimes ne soient mises au courant. Il meurt dans son pays sans être inquiété en 1965.

C’est en 1994, lors de la cérémonie des cinquante ans de ce massacre qu’une véritable prise de conscience a eu lieu sur la portée historique de ce drame. Le travail de mémoire va vraiment se réaliser par la création de l’Association pour le Souvenir de Maillé. Cela conduit à l’édification d’une maison du Souvenir dans l’ancien café Métais. En 2008, c’est le Président Nicolas Sarkozy qui vient le 25 août « réparer une injustice » commise par la France en ignorant si longtemps ce massacre et ses morts qui ont « leur place dans la mémoire nationale ».

Comme l’ont si bien évoqué Messieurs Bonneau et Naudin, professeurs d’histoire géographie au Colombier, la mise à l’écart de Maillé dans la Mémoire Nationale s’explique par plusieurs facteurs. En premier lieu, la date des événements. Le 25 août 1944 a eu lieu la Libération de Paris et la presse nationale couvre largement l’événement à la portée symbolique si forte, au détriment des autres. Août est également un temps de vacances pour les élus qui peut expliquer ce relatif désintérêt. Ce 25 août 2024 marquera les 80 ans du massacre et, au grand regret d’Annette Châtenet, « le Gouvernement ne sera représenté que par un officiel de second rang dans le protocole ».

Michel Gandar est décédé en 2015. Alors que s’éteignent peu à peu les derniers survivants du deuxième plus grand massacre de civils durant la Seconde Guerre Mondiale, sa petite soeur continue à intervenir auprès de la population. Elle invite élèves comme parents à rester vigilant, à ne pas se laisser embrigader et surtout à aller voter pour faire vivre les démocraties car « il y a hélas, des Maillé chaque jour partout dans le monde ».

Notre grand témoin a bien l’intention de voir son petit fils Louis (Assistant d’Education au collège et à l’origine de sa venue), reprendre le flambeau en faisant vivre cette mémoire « pour que l’on n’oublie pas les 124 ».

Crédits Photos : Maison du Souvenir de Maillé et collège le Colombier.

Vous souhaitez en savoir plus ?

A voir : le site internet de la maison du souvenir de Maillé : https://maisondusouvenir.fr/

A écouter : l'archive de l'émission "La marche de l'histoire" diffusée sur France Inter le 29 août 2012 : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-marche-de-l-histoire/le-massacre-de-maille-en-aout-1944-un-autre-oradour-3571485 (liens à copier-coller dans le navigateur).

Auteur: Webmaster

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